asut-Bulletin
Digital Shopping World
Ausgabe
01/2017
Ceux qui sortent du rang pourront tirer leur épingle du jeu.

Comment allons-nous effectuer nos achats à l’avenir ? Marta Kwiatkowski Schenk, observatrice de tendances à l’institut Gottlieb Duttweiler, à propos des nouveaux concepts et des nouvelles technologies

asut:  La dernière étude du Crédit Suisse est claire: un magasin sur trois est sous pression en raison du commerce en ligne. Dans dix ans, est-ce que les magasins existeront encore ?

Marta Kwiatkowski Schenk: Je pense que oui. Mais ils ne ressembleront pas du tout à ceux d’aujourd’hui. Si tout est disponible sous forme numérique et qu’il est possible de livrer les produits partout, alors il va falloir que les magasins stationnaires proposent quelque chose de spécial afin que nous continuons à nous y rendre. En effet, nous pouvons également nous connecter socialement via le numérique. Il s’agira donc d’offrir une surface d’expérience plutôt qu’une surface de vente, de créer des moments spéciaux. Les magasins deviendront des showrooms. C’est une tendance que l’on observe déjà aujourd’hui à travers le monde : des expositions et des défilés de mode ont lieu dans les grands centres commerciaux, les supermarchés organisent leurs festival de nourriture pour gourmets. Et comme la logistique d’arrière-plan devient également de plus en plus flexible et rapide, il ne sera bientôt plus nécessaire d’avoir différentes couleurs et tailles en stock pour chaque article. Il sera possible de découvrir les articles en magasin, mais la vente aura lieu en ligne, depuis chez soi ou d’autre part.

Et qu’en est-il des vendeurs ?

Il n’y aura plus de vendeurs comme nous les connaissons aujourd’hui. Les opérations de transaction pures disparaîtront aussi. En effet, pour les clients, le déroulement du processus de paiement est quelque chose de très désagréable: sortir le porte-monnaie est toujours douloureux. À l’avenir, selon les concepts des magasins, des compétences très différentes seront nécessaires. Le concept de magasin alimentaire qu’Amazon teste actuellement fonctionne sans personnel. Dans d’autres contextes, le personnel jouera peut-être un rôle sous forme de modérateur, de curateur ou d’hôte. Mais l’époque du vendeur classique est révolue.

Pour vous, quels sont les causes de cette évolution du comportement de consommation : uniquement la numérisation, ou bien y-a-t-il également d’autres éléments qui entrent en ligne de compte ?

Durant les dix dernières années, le comportement de consommation a fondamentalement changé en raison des possibilités de communication modernes. En effet, il était déjà possible d’effectuer ses achats depuis chez soi avant Internet. Mais grâce aux smartphones, nous pouvons désormais profiter de nos heures creuses pour faire  des recherches sur Internet 24/24, de nous laissez inspirer et d’acheter des produits. La numérisation et les possibilités qui en découlent renforcent les besoins et les modes comportementaux. Par nature, nous sommes plutôt paresseux, indolents et impatients:  lorsqu’un nouvel outil nous permet de l’être encore plus, nous l’utilisons. De plus, nous sommes de moins en moins disposés à attendre la livraison des articles achetés. « L’Instant Economy » répond à cette envie et les fournisseurs font de leur mieux afin de pouvoir livrer le plus rapidement possible : le « Same Day Delivery » n’est déjà plus suffisant. Par conséquent, la logistique devient de plus en plus importante. Et bientôt, il sera possible d’imprimer les produits chez soi.

L’impression 3D depuis chez soi ? Est-ce qu’il ne s’agit pas d’un futur vraiment lointain?

De telles évolutions connaissent toujours quelques balbutiements. Durant une première phase qui peut durer un moment, il y a encore des expérimentations, la qualité n’est pas au rendez-vous et les applications de la nouvelle technologie ne sont pas claires. Mais ensuite, tout peut aller très vite. C’est ce qui s’est passé avec les imprimantes: celles-ci étaient d’abord extrêmement chères, mais très vite, tout le monde a pu s’en acheter une. Je pense que pour les objets du quotidien et les pièces de rechange, l’impression 3D va s’imposer relativement vite. Mais on peut imaginer bien d’autres choses: peut-être qu’à l’avenir, nous achèterons uniquement le Blue Print d’un élément de design, comme nous le faisions avant avec les modèles de coupe. Ensuite, mon imprimante produira cette pièce avec la dimension, le matériau et la qualité souhaités. L’impression 3D répond également à la tendance de la personnalisation.

Au niveau du commerce et de la consommation, quelles sont les autres nouveautés qui nous attendent ?

L’expérience d’achat numérique va sûrement s’améliorer. Aujourd’hui, de nombreux commerçants expliquent encore qu’ils peuvent proposer aux clients des choses que l’univers numérique ne peut pas offrir : l’expérience sensorielle, la possibilité de toucher les produits, de les sentir, de les tester. Il est bien possible que la réalité virtuelle change cela. De telles expérimentations ont déjà lieu. En collaboration avec eBay, Myer, la plus importante chaîne australienne de grands magasins, teste le premier « Virtual Reality Store » : équipé d’un Google Cardboard, il est possible de plonger entièrement dans un univers de shopping virtuel et de s’y déplacer. On peut facilement imaginer que la poursuite du développement d’un tel concept permettra un degré totalement nouveau d’individualisation des produits. Je ne me rendrai plus dans un magasin où au final, 80% des articles ne m’intéressent pas. Je vais plutôt vouloir découvrir les articles qui vont le mieux avec un vêtement qui me plaît, les ingrédients parfaits pour réussir une recette de cuisine, ou bien simuler les différentes étapes d’une voyage qui m’intéresse. Je pourrai peut-être échanger et faire du shopping virtuel avec des personnes qui ne se trouvent pas sur place, par exemple avec une amie qui vit dans une autre ville ou un autre pays.

D’où vient cette tendance à l’individualisation ?

Cela va de pair avec l’économie collaborative. Les natifs de l’ère numérique n’ont jamais rien connu d’autre que cette société d’abondance : pour eux, tout est abordable. Ainsi, il est moins attrayant d’acheter produits que tout le monde peut également posséder. Et cela entraîne une réévaluation : désormais, c’est l’expérience unique qui devient plus importante. Par contre, le purement matériel n’est plus aussi intéressant, il constitue en quelques sorte également une charge. Il faut entretenir et utiliser les bien possédés.

Le succès de l’économie collaborative auprès des jeunes doit-il moins à l’évolution des valeurs qu’aux conditions économiques instables ? 

En effet, la « génération des stagiaires » ne peut plus mener le même train de vie que ses aînés. Mais dans le même temps, le niveau de vie et la disponibilité des produits sont bien plus élevés qu’avant. Au final, cela créer un nouveau style de vie: il faut optimiser, consommer différemment, travailler sur des projets, et pour beaucoup de personnes, faire ce qui nous intéresse est plus important que les ambitions carriéristes des générations précédentes. De plus, de nos jours, il est inutile de posséder certaines choses, comme par exemple la musique et les films, car ils sont disponibles bien plus facilement sous une autre forme. Il existe désormais des plateformes de partage pour quasiment tout et ces plateformes sont de mieux en mieux pensées, de plus en plus individuelles et rapides.

Pensez-vous que les commerçants suisses sont capables de faire face à ces nouveaux défis ? Ou bien les magasins vont-ils continuer de disparaître et nous deviendrons tous les clients des mêmes marques internationales ?

Tout le monde est capable de faire face aux défis, mais il faut également le vouloir. En Suisse, le contexte est très bon, un important savoir-faire est disponible et nous bénéficions d’un excellent accès aux technologies. De nombreuses possibilités s’offriront à ceux qui sauront saisir les opportunités. Le problème, c’est que notre économie va toujours très bien, même si beaucoup se plaignent et que certains détaillants sont déjà obligés de fermer. Mais tous les entrepreneurs doivent se tourner vers l’avenir et pas seulement maintenir un ancien concept ou bien simplement s’adapter à la nouveauté. Je suis persuadé qu’en parallèle aux marques mondiales, il est possible de trouver une niche. Mais pour cela, il faut rester attentif et se réinventer constamment. Comme les nombreuses petites boulangeries qui voient actuellement le jour : elles ne font rien d’autre que du pain, mais elles sont plus tendances, se positionnent un peu différemment et jouent sur l’envie de fraîcheur et de produits locaux en créant un contrepoids à la numérisation.

N’y a-t-il pas une contradiction ? D’un côté l’envie croissante d’individualisation et de l’autre, les mêmes rues commerçantes dans toutes les métropoles au monde ?

Nous vivons avec ces contradictions. Nous souhaitons profiter de choses spéciales, mais nous allons malgré tout faire nos courses dans de grandes chaînes, nous aimons manger rapidement et économiquement dans un snack, mais nous apprécions également un bon dîner dans un cadre agréable. C’est pourquoi les grandes chaînes de magasins vont continuer à avoir du succès, notamment parce qu’elles peuvent organiser l’ensemble de la chaîne de production de manière globale, en particulier dans un secteur avec des marges aussi faibles que dans le secteur du commerce. Ceux qui tenteront de les concurrencer sur leur terrain n’ont aucune chance. Mais comme le comportement des consommateurs est très hybride, les petites entreprises qui sortent du rang pourront tirer leur épingle du jeu.

Marta Kwiatkowski SchenkGDI

Marta Kwiatkowski Schenk est Senior Researcher et Deputy Head Think Tank auprès de l'Institut Gottlieb Duttweiler. Elle analyse les évolutions sociales, économiques et technologiques.

Artikel teilen: Ceux qui sortent du rang pourront tirer leur épingle du jeu.