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Ausgabe
05/2016
La Suisse doit mettre les bouchées doubles

Pour Urs Rüegsegger, CEO de Six, la numérisation de l’économie financière est en premier lieu synonyme de changement de culture. Et pour lui, c’est une bonne chose!

asut: Transformation numérique, bouleversements douloureux dans bon nombre de secteurs… considérez-vous cette évolution comme une opportunité ou plutôt comme un risque pour la place financière suisse?

Très clairement comme une opportunité, car la numérisation ouvre des perspectives qui permettront de rendre la place financière encore plus performante. Cela dit, cela n’a rien de complètement révolutionnaire: le passage progressif de différents éléments de notre activité du monde physique à l’univers numérique a commencé il y a plusieurs décennies. A l’exemple de la Bourse électronique, qui a fêté son vingtième anniversaire récemment. Et pourtant, à l’époque de sa création, la NNZ exprimait clairement ses doutes en titrant: «La machine peut-elle évincer les courtiers?». Aujourd’hui nous savons que le passage du négoce à la criée à une plateforme d’opérations boursières entièrement électronique a propulsé la Suisse sur le devant de la scène dans le monde entier.

De manière générale, la numérisation permet d’exploiter plus efficacement les ressources disponibles. Quels processus de changement incarnent cette évolution dans le secteur financier? Quels nouveaux modèles commerciaux en découlent et quels nouveaux marchés s’ouvrent?

L’efficacité est certes un critère important, mais d’autres le sont tout autant. La numérisation, et en particulier l’évaluation ciblée de données mémorisées, ont permis de développer de nouvelles activités et des offres nettement plus étendues et plus axées sur les clients. A l’heure actuelle, les clients peuvent accéder de partout et sans restrictions à toutes les prestations d’une banque. La relation d’un client avec sa banque s’automatise de plus en plus et gagne en mobilité. Il en résulte de nouvelles exigences posées à l’infrastructure des marchés financiers.

Bien sûr, cette évolution engendre, à court terme, des ruptures. De petites start-up, mais aussi des groupes technologiques internationaux externes au secteur font leur entrée sur le marché, et de nouveaux modèles commerciaux apparaissent. Certains profils professionnels vont disparaître, le négoce se mondialiser encore davantage et la concurrence s’intensifier. Et bientôt, le fait qu’il a un jour existé des courtiers qui négociaient au téléphone à la Bourse nous paraîtra aussi surprenant que de savoir qu’à l’époque, chaque jour à la fermeture des banques, un employé partait pour la Banque nationale avec sous le bras un porte-documents pour effectuer le clearing. De même, les conseillers clientèle, les succursales bancaires physiques et les bulletins de versement n'auront bientôt plus la même importance qu'aujourd'hui. A leur  place il y aura des nouveaux métiers, services et interfaces client. Dans cette optique, l’ouverture du trafic des paiements aux prestataires tiers constituera dès 2018 une nouveauté significative. Cet accès aux comptes bancaires offrira aux banques et aux Fintech de vastes perspectives pour de nouvelles offres.

Dans quelle mesure la place financière suisse est-elle armée en vue de ces changements?

Certains acteurs prennent les devants, d’autres restent plutôt dans l’expectative. Mais de manière générale, je pense que le processus prend la bonne direction. La place financière suisse a déjà su s'adapter à des nouvelles situations avec succès par le passé – elle saura le faire à l'avenir aussi.



Bientôt plus de boursiers négociant au téléphone à la bourse de Zurich.       Photo: SIX

Des évolutions telles que la blockchain ou les crypto-monnaies sont-elles en mesure de supplanter le rôle d’intermédiaire des établissements financiers classiques et de remettre en question la fonction de contrôle et de stabilisation de l’Etat?

La blockchain, en tant que «Distributed Ledger», c’est-à-dire une sorte de registre public transparent, a de nombreux avantages. Elle permet d’établir de nouveaux standards, de simplifier les processus et de supprimer la fastidieuse harmonisation entre les différentes parties prenantes. Là aussi, le potentiel est énorme en matière d’accroissement de l’efficacité.

Mais tous ces mécanismes d’intermédiation et de surveillance ont été mis en place afin de garantir la sécurité de différentes transactions commerciales et financières. Personne ne doit subir de préjudices: la Banque nationale repose sur ce principe, raison pour laquelle la Finma existe. Voulons-nous à l’avenir donner toute notre confiance à la technologie uniquement? Actuellement, nous n’en sommes certainement pas encore là, car même les systèmes répartis requièrent des instances qui puissent garantir des transactions correctes et la valeur utile des actiWerthaltigkeit von Vermögenswerten im weitesten Sinn einstehen.

Le paiement mobile se démocratise de plus en plus au quotidien. Avec Paymit, SIX offre une solution de trafic des paiements mobile, mais la concurrence fait rage: quelle norme va s’imposer?

Au niveau des moyens de paiement, il est clair que nous exploitons la tendance à la numérisation dans le but de réduire les mouvements d’espèces et de mettre en place les plateformes et l’infrastructure nécessaires au traitement futur de l’ensemble du processus de paiement dans l’espace numérique. A mon avis, il se produira à un certain moment une consolidation qui fera disparaître la fragmentation. Outre l’aspect pratique et la convivialité, deux critères seront en l’occurrence décisifs: la sécurité et la confiance. Tant que la confiance fera défaut, les clients seront même prêts, le cas échéant, à accepter d’utiliser des solutions moins efficaces.

Et le franc suisse? Un franc numérique peut-il maintenir l’aura de cette monnaie refuge, forte et stable? Et qu’adviendrait-il alors de cette belle devise: «l’argent est l’instrument de la liberté»?

L’aura du franc suisse ne dépend pas du fait qu’on puisse le toucher ou qu’il n’existe que sous forme numérique. Cette nuance ne joue qu’un rôle secondaire.

Il y aura des monnaies numériques, j'en suis convaincu. Cette évolution au fond s’inscrit d’ailleurs simplement dans la logique de l'évolution du système monétaire: jusqu’à la réforme monétaire de 1850, il existait en Suisse une multiplicité de monnaies et devises suisses et étrangères, avant qu’une monnaie nationale ne soit créée et simplifie considérablement le trafic des paiements. La numérisation de la devise recèle également un gigantesque potentiel d’accroissement de l’efficacité. Il n’est d’ailleurs pas anodin que les banques centrales, notamment la Bank of England qui envisage d’émettre sa propre monnaie numérique, jouent en l’occurrence un rôle-clé.

Au niveau de la société, le passage au monde numérique va également entraîner certains transferts de pouvoir, car de nouveaux thèmes tels que l’accès aux ressources, la traçabilité ou la protection des données seront liés à l’argent. Les inquiétudes qu’éveille cette évolution parmi les générations plus âgées ne sont toutefois guère partagées par les plus jeunes, chez qui un déplacement des valeurs est déjà en cours.

SIX mise sur l’environnement Fintech et a créé avec F10 un incubateur Fintech. La Suisse peut-elle se démarquer dans ce domaine? Quelles conditions doivent en l’occurrence être réunies?

Par rapport à la Silicon Valley ou à Londres, il est certain que nous accusons un certain retard, mais le développement en en bonne voie. En Suisse, les conditions réglementaires et fiscales ne sont certes pas encore idéales, mais après une table ronde, le ministre de l’économie, Johann N. Schneider-Ammann, et les représentants politiques sont au moins sensibilisés à ce problème. A mon avis, aucune intervention de l’Etat n’est nécessaire au-delà de la création de conditions cadres favorables. Deux éléments du côté de la place financière sont à mon sens bien plus importants: des ressources suffisantes pour une identification et une possible utilisation rapides des nouvelles technologies importantes, ainsi que la notion de collaboration et d’échange entre les différents acteurs du marché. C’est pour cette raison que l’incubateur F10 réunit les acteurs les plus divers, issus de l’environnement Fintech, de banques, d’assurances, de sociétés informatiques et d’universités.

Une étude de l’EPFL mandatée par Six et Swisscom fait état d’un déficit à combler dans le domaine de la numérisation en Suisse: ce constat vaut-il aussi ou justement pour le secteur financier? Qu’est-ce qui est nécessaire et à qui incombe la responsabilité d’agir?

En comparaison avec d’autre pays, la Suisse ne se trouve pas en si mauvaise posture. Mais elle doit rester dans le rythme, si ce n’est mettre les bouchées doubles. Nous avons des acteurs leaders sur le marché de la gestion de patrimoine, des gens extrêmement bien formés dans tous les secteurs et des instituts de recherche parmi les meilleurs. Nous devons collaborer toutes branches confondues avec eux, par exemple avec les EPF dans le domaine de la cybersécurité, et exploiter de manière ciblée, dans les différentes entreprises et institutions, les possibilités qu’offre la numérisation. Les conditions sont là. Quant à savoir si cela suffira, c’est en fin de compte une question d’attitude. Mais sans changement de culture, rien ne se fera.

Interview: Christine D’Anna-Huber

SIX en bref.

 

Urs RüegseggerSIX

Urs Rüegsegger dirige SIX depuis début 2008. Auparavant, il présidait la Direction générale de la Banque cantonale de St-Gall. 

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