L'homme digital

Pourquoi craignons-nous que la numérisation nous vole nos emplois ? Nous devrions nous réjouir que des machines, des intelligences artificielles et des robots interconnectés prennent en charge notre travail afin de nous permettre de vivre pour créer, et non plus de devoir travailler pour vivre.

Les exemples du passé devraient également nous rendre optimistes : la technologie nous a déchargé de nombreuses tâches physiques fatigantes ou abrutissantes. Le travail des enfants a été interdit il y a environ 100 ans pour être remplacé par l’éducation et les loisirs. Est-ce que cela a eu un impact négatif sur les enfants, la société ou l’économie ?

Abordons donc ce thème différemment en nous questionnant à propos des solutions que la numérisation pourrait apporter à nos problèmes urgents. Par exemple celui de l’évolution démographique, l’un des principaux défis économiques de notre avenir proche. Depuis les années 80 du siècle dernier, dans les pays industrialisés, le taux de natalité bas prive le marché du travail de millions de personnes. La numérisation va partiellement compenser ce manque. Ainsi, une étude publiée en mars 2016 par PricewaterhouseCoopers (PwC) affirme que la numérisation pourra diminuer de moitié la pénurie de 4,2 millions de travailleurs attendue d’ici 2030. Le relèvement de l’âge de la retraite et l’immigration devront combleront l’autre moitié.

En observant les détails des résultats de cette étude et des autres enquêtes s’intéressant aux conséquences de la numérisation sur le marché du travail, on remarque que tout n’est pas aussi simple: environ, la moitié des emplois actuels vont disparaitre, mais pas de manière linéaire pour toutes les branches. Selon PwC, le commerce (-34%) et l’industrie (-22%) seront particulièrement touchés, suivis par le transport et la logistique (-11%), les services financiers (-5%) et l’industrie automobile (-3%). Mais de nouveaux postes seront créés dans le secteur des TIC et dans le secteur public (respectivement +7%) ainsi que dans secteur de la santé (+11%).

Alors, au final, rien ne va changer ? Quelques gains, quelques pertes, de nouvelles solutions et de nouveaux défis, comme c’était le cas jusqu’à présent pour tous les progrès technologiques ? Ce serait une vision trop simpliste. En effet, la numérisation, l’interconnexion et l’automatisation de tous les secteurs de la production, de la vie professionnelle et de l’existence, notamment à l’aide de machines intelligentes et capables d’apprendre, engendrent une situation initiale fondamentalement nouvelle. Jusqu’à présent, les différentes avancées technologiques ont permis de remplacer la force des muscles par des machines et de transformer les travailleurs en opérateurs. De plus en plus souvent, les systèmes numériques sont en mesure d’accomplir des tâches jusqu’à présent réservées à l’intelligence humaine. Mêmes les travaux des experts et les travaux intellectuels, tels que les métiers de médecin ou de juriste, sont touchés par la numérisation.  Le super-ordinateur Watson d’IBM peut d’ores et déjà mieux diagnostiquer les maladies que n’importe quel médecin tandis que des logiciels intelligents vérifient en quelques fractions de secondes des milliers de clauses contractuelles pour déterminer leurs chances de réussite au tribunal.

C’est donc pour cela que nous craignons que la numérisation nous vole notre travail. En effet, depuis le début de l’humanité, c’est la première fois que les machines que nous construisons peuvent également s’occuper de tâches que nous pensions nous être réservées. Mais dans un univers de plus en plus numérisé, dans lequel de plus en plus de tâches sont exécutées par des systèmes évolutifs, quelle est la place de l’individu ? Qu’est-ce qui le différencie d’une machine intelligente ? Que vaut encore l’intelligence humaine ? Est-ce que nous devons nous habituer à travailler main dans la main avec les machines, allons-nous devenir des travailleurs-entrepreneurs précarisés, des mercenaires certes autonomes et responsables mais sans protection sociale, travaillant sur des plateformes comme Uber ou Upwork ?  Ou bien plutôt des vacanciers permanents dont l’état doit soutenir le pouvoir d’achat avec un revenu universel ? Est-ce que nos institutions sociales seraient capables de prendre en charge cela ?

Ces craintes sont compréhensibles, car nous devons désormais trouver de nouvelles réponses à de nombreuses questions. Mais ces craintes sont inutiles, car les réponses existent. Cependant, elles ne tomberont pas du ciel. Nous allons par exemple devoir agir activement afin que les gains de productivité résultant de la numérisation soient répartis de manière à ce que le pouvoir d’achat de tous soit préservé. En effet, l’économie numérique nécessite peut-être moins de travailleurs, mais sûrement pas moins de consommateurs. En première ligne, nous devons garantir que notre système éducatif et social soit conçu de manière suffisamment flexible pour offrir à un maximum de personnes la possibilité de s’affirmer dans l’économie et la société numériques, mais aussi de participer à leur conception. Ainsi, ces personnes auront l’impression de faire partie d’un tout et feront partie des gagnants de cette révolution technologique.

En 2017, sous la devise de l’année « Homo Digitalis », asut tentera d’analyser et d’approfondir les réponses aux questions que pose la numérisation. Le premier numéro du bulletin de l'asut se penche sur les effets de la digitalisation sur le commerce et la consommation.

 

 

Peter Grütter

Peter Grütter est le Président de l'asut.